Bien qu’ils aient été brodés au gré de l’imagination des narrateurs, les contes et légendes colportés par la tradition orale sont bien souvent basés sur des faits réels. Ainsi, il faut savoir que les loups et ours n’étaient pas rares dans notre région au XVIlème et XVIIIème siècles. Le dernier loup de Savoie a été abattu près d’Annecy pendant l’hiver 1835, et le dernier ours en 1921, à Montgellafrey, près de La Chambre (D’après « l’Almanach du Vieux Savoyard » de 1963 et 1965).
L’hiver s’achevait. Comme la plupart des années, il avait été rigoureux, et les habitants du quartier de « Critin » (en amont du Plan) se réjouissaient à l’idée de pouvoir enfin circuler plus librement, et bientôt commencer les travaux des champs.
Ils n’étaient pas les seuls à vouloir profiter du retour du printemps : Un vieil ours, sortant de sa longue hibernation et en quête de nourriture pour soulager son estomac vide, semblait apprécier les beaux jours, mais aussi le quartier. Il rôdait de plus en plus souvent autour d’une maison, située précisément à la croisée des chemins de « Critin » et des « Gouilles », et qu’on appela, à juste titre. « la Granze a Peur ». c’est-à-dire « la Grange de l’ours ».
Les propriétaires, excédés par la présence insistante de cet animal, s’ingénièrent à trouver une solution radicale pour se débarrasser du plantigrade. Après maintes réflexions, ils disposèrent, en contrebas de la maison. de larges « baru », soit des écorces de sapins fraîchement pelés. L’ours, ne prêtant guère attention à ce nouveau décor, se dirigea à pas lourds, comme les jours précédents, en direction de la maison. Mais le sol se dérobait sous ses pattes : il avait bien du mal à se maintenir sur ces « baru ». encore tout imprégnés de sève printanière. Sa masse imposante glissa jusqu’au bord du précipice, et c’est dans un vacarme de grognements et de branches cassées qu’il bascula de la barre rocheuse et fut précipité dans le Nant du Freu (ruisseau de la Crépinière). II tomba, paraît-il, au lieu-dit « la Caban’ne » : un endroit du ruisseau où une petite bâtisse avait été érigée. Elle abritait une roue à aube qui permettait d’actionner les batteuses à blé des deux « Crépinière d’en haut ».
Si aujourd’hui vous allez en direction de « Critin », non seulement vous ne rencontrerez plus ni loup ni ours, mais de surcroît vous ne verrez plus la fameuse « Grange a l’eur ». Après avoir été hantée par l’ours pendant de nombreuses années, elle a été transformée en havre de paix et de prières. Démolie en 1971, ses vieilles « costes » et poutres ont été transportées en Haute-Savoie, en amont des Houches, pour être utilisées à la construction d’une chapelle : celle du Foyer de Charité de La Flatière, et on peut désormais la visiter et s’y ressourcer en toute quiétude !